Nº 1 - Automne 1997

Noir sur blanc - In Black and White : Une autre façon de voir


LES FEMMES ET LES DÉFIS DE LA GESTION DE L'EAU À BAMAKO, MALI
par Élizabeth Côté
Coordonnatrice d'un projet de lutte contre la malnutrition infantile
dans les quartiers périphériques de Bamako

La communauté internationale tente depuis plusieurs années de résoudre le problème alarmant du peu d'accès à l'eau potable qui sévit dans de nombreuses régions du monde. En 1978, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque mondiale établissaient un programme commun visant à améliorer les services d'alimentation en eau et d'assainissement accessibles aux populations les plus démunies des pays en développement. Près de vingt ans plus tard, malgré les efforts déployés, la situation est loin d'être satisfaisante.

Plus d'un milliard de personnes sans accès à l'eau potable

En Afrique subsaharienne par exemple, l'accroissement du nombre de personnes desservies en eau potable ne rattrappe pas la croissance démographique. Le pourcentage de la population sans accès à l'eau potable a même augmenté de 30% en l'espace de dix ans.

Dans le but de trouver des solutions efficaces à ce problème, la Conférence internationale sur l'eau et l'environnement tenue à Dublin en 1991 endossa ce que certaines expériences sur le terrain avaient déjà prouvé : pour réussir, les projets d'approvisionnement en eau doivent initialement répondre à une demande exprimée par les populations. Celles-ci doivent ensuite intervenir à toutes les étapes du processus, que ce soit l'identification des priorités, la formulation des propositions ou la mise en place des installations. Elles doivent participer par la suite à la gestion des budgets et de l'entretien des équipements en vue de créer un sentiment d'appropriation face aux installations, sentiment sans lequel on ne peut garantir la durabilité de celles-ci.

Par le passé, les projets de développement étaient entièrement conçus, élaborés et exécutés par l'État et par des agents extérieurs aux populations bénéficiaires. Ces dernières considéraient le plus souvent les projets comme des actions imposées par les bailleurs de fonds. Combien d'équipements et d'infrastructures d'approvisionnement en eau, parachutés de l'extérieur sans consultation préalable des communautés, sont aujourd'hui inadéquats, mal entretenus, voire abandonnés.

Un nouveau rapport entre l'État, les ONG et les populations

L'insistance sur la nécessité d'une gestion participative par toutes les parties prenantes a également fait évoluer les attitudes des gouvernements des pays du Sud. Au Mali par exemple, dans le cadre de la nouvelle politique de décentralisation, le gouvernement reconnaît expressément aux collectivités locales le droit et la responsabilité de prendre en charge des structures communautaires telles les écoles, les services sociosanitaires et les infrastructures d'approvisionnement en eau.

Le rôle des ONG est de plus en plus de susciter une articulation efficace entre les autorités municipales, l'État, les bailleurs de fonds et les populations, surtout les populations démunies vivant dans les quartiers urbains défavorisés ou en milieu rural.

Par leur expérience du terrain, les ONG sont tout à fait à même de recueillir les aspirations des habitants, de structurer leurs attentes et de véhiculer celles-ci auprès des autorités. Elles sont bien placées aussi pour former et encadrer les populations de manière à mener à bien les idées de projet qui germent à la base ou qui viennent de l'extérieur des communautés.

Une expérience de gestion participative de l'eau en zone périurbaine

Malgré les progrès réalisés ces dernières années en matière d'approvisionnement en eau dans les grandes villes d'Afrique de l'Ouest, le problème demeure aigu en bien des endroits.

À Bamako, capitale du Mali, 23% seulement de la population est raccordée au réseau public de distribution au foyer. Environ18% des familles s'approvisionnent aux bornes-fontaines selon un système à péage. Comme la croissance démographique et l'émigration rurale ont fait naître de façon incontrôlée des quartiers spontanés en périphérie de la ville, la majorité de la population est établie dans des secteurs dépourvus de toute infrastructure. L'approvisionnement en eau est assuré par des revendeurs qui opèrent à profit. Leurs clients payent l'eau encore plus cher.

La population a donc l'habitude d'acheter son eau. La majorité des femmes utilisent jusqu'au tiers de leur budget personnel pour subvenir aux besoins de la famille en eau.

C'est dans ce contexte que le Centre canadien d'étude et de coopération internationale (CECI) a participé à un projet d'approvisionnement en eau potable dans trois quartiers périphériques de Bamako : Banconi, Sikoroni et Sébénikoro.

La particularité de ce projet pilote est l'importance du volet "Animation et sensibilisation des populations", dont le CECI était responsable. Quelque 30% du budget du projet ont été alloués à ce volet. L'objectif principal de ce projet était de mettre en place un système de gestion participative efficace et durable, assurant la pérennité des installations.

L'approche utilisée auprès de l'ensemble de la communauté consistait d'abord à écouter les gens, à leur donner la parole, à leur présenter des choix et à leur offrir un pouvoir réel de décision. Enquêtes, assemblées de quartier, séances d'animation, représentations de théâtre, tels ont été les moyens utilisés pour mobiliser, sensibiliser et informer la population. Cette dernière a donc reçu tous les éléments d'information la rendant apte à prendre des décisions et à défendre celles-ci auprès des partenaires du projet : bailleurs de fonds, District de Bamako, bureau d'ingénieurs-conseil, etc.

Des associations des usagers de l'eau (AUE) ont été mises en place, qui ont pu participer pleinement à toutes les étapes du projet, en y incluant le choix du système technologique, l'emplacement des bornes-fontaines et le mode de gestion des installations. Facteur très important, avant le démarrage des travaux, les associations devaient réunir une somme assez significative pour couvrir certains frais de construction, ce qui a eu pour effet de consolider le sentiment d'appropriation de la démarche et des installations.

Des sessions de formation ont également été offertes sur l'organisation et le fonctionnement d'une association, y compris la gestion et la comptabilité. En outre, une formation technique a été prévue pour le bon entretien des installations.

Si les femmes de ces quartiers jouent un rôle central dans l'approvisionnement et la gestion quotidienne de l'eau, leur participation aux travaux des comités d'usagers de l'eau a été plus modeste. Bien que le projet entendait instaurer une alternance homme-femme dans l'occupation des postes-clé de ces comités, les femmes n'ont pu détenir un réel pouvoir. Lors des réunions publiques, les hommes surtout prennent la parole. Les femmes sont trop souvent confinées à des rôles d'arrière-plan. Parce que le modèle culturel de l'homme comme chef de famille reste vivace et que les femmes sont en général peu scolarisées, elles ne parviennent pas à prendre la place qui leur revient dans ces comités.

Rappelons que ce sont essentiellement les femmes qui s'occupent de l'eau. Elles la transportent pour les fins domestiques et en gèrent l'utilisation. Grâce à leur connaissance approfondie des besoins en eau de la communauté, elles sont les mieux placées pour indiquer où installer les points d'eau. Comme elles sont les premières à être ennuyées lorsque les installations tombent en panne, elles ont intérêt à ce qu'elles soient correctement entretenues. Ce sont elles aussi qui décident de bouder de nouvelles installations ne répondant pas à leurs besoins.


Août 1997

Source : Le Centre canadien d'étude et de coopération internationale (CECI)


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